Lindt vs Lidl : peut-on monopoliser le lapin de Pâques ?
Saison pascale oblige, il est temps de revenir sur le récent arrêt du Tribunal fédéral condamnant les filiales suisses du géant allemand de la distribution à détruire leurs lapins en chocolat en raison d’un risque de confusion avec celui du chocolatier suisse.
Lindt peut-elle monopoliser l’image du lapin de Pâques ?
Pas d’inquiétude ! Vous continuerez à trouver dans les rayons d’autres lapins de Pâques que ceux de Lindt ! En effet, le mythe du lapin de Pâques remonte au XVIIe et son utilisation sous forme de chocolat au XIXe siècle. Le lapin de Pâques, en tant que tel, appartient donc au domaine public et ne peut normalement pas être monopolisé en l’enregistrant comme marque (voir aussi l’arrêt du Tribunal administratif fédéral concernant la tentative de Lindt d’enregistrer une marque représentant le père noël).
En revanche, il est possible d’enregistrer un signe du domaine public lorsqu’il s’est imposé avec le temps comme un signe « individualisant » les produits d’une entreprise déterminée. Autrement dit, lorsque le public fait le lien entre le signe du domaine public et une certaine entreprise. On parle alors de marque imposée (art. 2 let. a LPM).
Et c’est précisément le cas de Lindt qui a pu prouver par le biais d’un sondage (« étude démoscopique ») qu’une large majorité de la population suisse établit un lien entre Lindt et son lapin.
Cependant, Lindt ne peut pas pour autant monopoliser toutes les représentations de lapins en chocolat. Elle ne peut qu’interdire l’usage de celles qui présentent un risque de confusion avec ses marques de lapin. Alors est-ce le cas du lapin Lidl ?
Un risque de confusion entre les lapins ?
Dans cet arrêt, l’existence d’un risque de confusion a été examiné entre les lapins (signes) suivants :
Lindt :
Lidl :
En l’occurrence, notre Haute Cour a jugé que le lapin de Lidl créait une impression d’ensemble similaire à celui de Lindt et créait donc un risque de confusion aux yeux du grand public. À l’inverse de l’autorité précédente, le Tribunal fédéral a jugé – de manière discutable – que les différences qu’ils présentaient avec celui de Lindt, comme l’inscription « FAVORINA », la forme de son pendentif, de ses pattes et de ses moustaches étaient insuffisantes pour le distinguer de celui de Lindt. S’agissant de produits alimentaires, le Tribunal fédéral estime que le public concerné prêterait davantage attention à la forme du lapin plutôt qu’aux inscriptions qui y figurent (étiquettes et décorations).
Un véritable risque de confusion ou plutôt un usage parasitaire ?
Mais n’y a-t-il pas contradiction à relever d’une part le fort taux de reconnaissance chez le public concerné du lapin Lindt et admettre d’autre part un risque de confusion ?
Si les consommateurs reconnaissent si bien le lapin Lindt, risquent-ils vraiment de le confondre avec un autre ? N’y a-t-il pas davantage un éventuel comportement parasitaire (art. 2 et 3 let. e LCD, voire même art. 15 LPM applicable aux marques de haute renommée au vu du taux de reconnaissance de la marque) plutôt qu’un risque de confusion ?
Hélas, le Tribunal fédéral n’examine pas cette question dans son arrêt puisque le recours de Lindt a déjà été admis sur la base de l’existence d’un soi-disant risque de confusion. Si la solution juridique retenue peut surprendre, on peut supposer que le résultat de la décision n’aurait probablement pas été très différent… Il reste cependant regrettable que notre Haute Cour n’ait pas saisi l’occasion de faire la distinction entre ces deux comportements. En effet, il apparaît souvent en pratique que le consommateur n’est pas dupe et est conscient qu’il n’a pas affaire aux produits « originaux ». Le problème réside davantage dans le fait que des concurrents, tels que des hard discounters, présentent leurs produits comme des alternatives bon marché à des produits bien connus, profitant ainsi de leur renommée et de leurs efforts commerciaux.